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samedi 20 juin 2020

Des soleils et des cœurs

Lundi 15 juin, prise de poste à l’école maternelle La Fontaine (celle des dessins à la craie) pour un remplacement d’une semaine. Dix élèves sont présents (petite, moyenne et grande section), ils ont déjà leur place attitrée car ils ont travaillé dans cette salle de classe les deux semaines précédentes avec une autre enseignante.

Je me présente, le masque de rigueur dissimulant une grande partie de mon visage. J’écris mon prénom sur le tableau dans les trois écritures. Je les appelle par leur prénom les un-e-s après les autres, les engageant à me répondre « bonjour », « je suis présent-e », à lever la main ou à faire un petit signe, comme bon leur semble.

D’ailleurs au fait, quel jour sommes-nous ? Je leur pose la question. Elora (grande section) lève le doigt et dit « lundi ». J’écris LUNDI au tableau et je poursuis. Oui mais lundi combien ? De quel mois de l’année ? Nous sommes en quelle année ? Anissa (grande section) sait que nous sommes au mois de juin. J’écris la date complète, en cursive et en capitale (j’ai cinq moyennes sections et trois petits dans la classe), on la répète ensemble puis individuellement (les deux filles de grande section principalement).

Chystèle (ATSEM) et Alexandra (animatrice) sont avec moi dans la classe, elles prennent en charge le plan de travail d’Elora et d’Anissa, très consistant. La directrice apporte des coloriages codés pour les petites sections et m’apprend que Mia est très avancée, que je peux lui donner le travail des moyens.

Je propose donc à ces cinq-là (et à Mia) d’écrire la date qui se trouve au tableau (celle qui est soulignée, je leur montre) sur une feuille lignée que je leur distribue en leur demandant de préparer leur crayon à papier (ils ont leur matériel personnel sur leur table, tout ce qu’il faut, même une bouteille d’eau). Je passe les voir les un-es après les autres pour les guider, pour m’assurer qu’ils ont compris, qu’ils se mettent au travail.

La directrice me transmet les fiches agrafées à faire cette semaine en moyenne section, il y en a un paquet. Elle m’informe aussi du projet de la carte pour la fête des pères (ici tous les enfants ont un papa).

Camélia et Adama s’activent avec les crayons de couleur, du jaune, du bleu, du noir, et comptent les points (un, deux ou trois) dans les cases avant de colorier de la couleur demandée.

J’entame la première page du plan de travail des moyens (Imany, Tiffany, Alana, Alexandre et Zahra). Il s’agit de relier un nombre (un, deux, trois, quatre, cinq) à la quantité d’objets dessinés correspondants. Je demande à Mia si elle veut faire ce travail, elle me dit oui d’un signe de tête, je lui donne le dossier d’exercices, elle s’en sort très bien.

La récré est de dix heures à dix heures et demie, seul « mon groupe » est présent dans cette partie de la cour ; des échasses, des cerceaux, de grosses craies sont mises à leur disposition.




Après et jusqu’à l’heure de la cantine, je les inviterai à continuer leur collier (en respectant un rythme de couleur) puis je les laisserai jouer, chacun sur son espace constitué de deux petites tables, avec interdiction de se lever et d’échanger des choses.

Au fur et à mesure, je baisserai la garde, les autorisant à jouer par terre (les enfants adorent ça) séparément, puis les autorisant à jouer ensemble, et finalement à aller d’un coin jeu à un autre, selon leur envie du moment. Les mains resteront lavées régulièrement, sous la vigilance et la bienveillance de Chrystèle et Alexandra.

Voir ci-dessous les photos de la classe « avant » et « après » :

Pause déjeuner (repas froid) dans « ma » classe, le premier jour. Je prends soudain conscience de la disparition des affichages indispensables en école maternelle. Ni jours de la semaine, ni mois de l’année, ni calendrier, ni bande numérique. Il reste des morceaux de « patafix » collés au mur, au-dessus et de part et d’autre du tableau. Il n’y a plus rien pour compter ou pour lire, se repérer dans le temps.

J’aurai tôt fait de remédier au problème, de rétablir tout ça, les repères essentiels, afin de démarrer chaque journée de classe dans la conscience du temps présent, du temps qui passe, de celui à venir. Je photocopierai à chaque élève un calendrier du mois de juin et dès le mardi 16, nous barrerons les jours passés, nous entourerons celui d’aujourd’hui, nous dessinerons des soleils car il a fait beau tous les matins de cette semaine-là.

Voir ci-dessous les photos de la classe « avant » et « après » :

Vendredi 19 juin après-midi, pour la récréation, je sors une flopée  de ballons de toutes les couleurs ! On les fait rouler, on les envoie en l’air, on dribble, on shoote, on se fait des passes, c’est la fête, on se lâche, ça fait du bien !

La dernière partie de ma dernière journée en compagnie de « mes » dix petits élèves et de Chrystèle et Alexandra, volubiles et souriantes, l’émotion sera telle que j’en oublierai de porter « le » masque. Attention, y’a d’la relâche !

vendredi 19 juin 2020

Les dessins à la craie


Vendredi 29 mai, tandis que les enseignantes et les ATSEMs préparaient la rentrée du mardi 2 juin (dans cette commune, par décision du maire, les écoles n’ont pas rouvert le 11 mai ; seule l’école maternelle où je me trouvais en mission a assuré l’accueil des enfants de soignants), j’encadrais les six filles présentes ce jour-là, de la petite section au CM2. Elles se sont bien amusées, un pot de craies a suffi à engendrer un foisonnement de dessins colorés.

Bouleversée par la disparition soudaine de ma collègue Odile, en mode « radar » pendant plusieurs jours, j’ai omis de poster cet épisode merveilleusement ensoleillé de mon feuilleton scolaire.





mercredi 17 juin 2020

J-M MC : le retour



Un clip tourné « à l’arrache » le lundi 15 juin 2020 dans les jardins de l’Élysée (vous remarquerez, en arrière-plan, les mouvements gracieux d’un arbre séculaire aux branches bercées par la brise légère) avec un ministre de l’Éducation nationale pas très convaincant, plutôt hésitant, même.

Mais comme le Président l’a annoncé dimanche 14 juin, puisque comme par magie la région Île-de-France, après avoir été placée en vigilance orange (attention au vent et aux fortes pluies) se retrouve en zone verte (Mayotte et la Guyane restent sous surveillance face à l’épidémie), la reprise de l’école et du collège (et des lycées sous forme d’entretiens) se fera, pour tous les enseignants et pour tous les élèves, à partir du lundi 22 juin.

La présence est obligatoire car l’instruction obligatoire en France, alors,  dans les salles de classe, la règle de distanciation évolue. Elle était de 4 m2 par élève, « il s’agira désormais simplement de faire respecter une distance d’1 m par élève latéralement lorsqu’ils sont côte à côte, donc, ou parfois quand ils se font face, heu… Dans la cour de récréation, ces mesures ne s’appliquent pas. Demain (mardi 16 juin), vous disposerez du nouveau protocole sanitaire adapté à ces nouvelles règles. »

Demain, c’était hier. Et aujourd’hui, mercredi 17 juin, je n’ai toujours rien reçu sur ma boîte mail professionnelle.

mardi 16 juin 2020

#DansezChezVous

Wech ! Ça va guincher dans les écoles du 93 !

La DAASOP (Délégation Académique à l’Action Sportive, à l’Olympisme et au Paralympisme) veille au grain et a concocté « deux actions destinées à accompagner les enseignant-e-s en cette période de reprise dans les établissements ».

Honte à moi, je ne le savais pas, mais « le temps de la journée olympique du 23 juin approche, c’est également un moment fort où ces actions pourront prendre toute leur consistance ».

Tout un programme !

La première action se nomme Dansez ensemble. Ainsi, « en collaboration avec les équipes de Paris 2024, nous avons souhaité remettre l'activité physique modérée et la solidarité au cœur de ce temps de retour à l'école en faisant danser les élèves autour d'une chorégraphie. Deux vidéos (chorégraphie complète et tutoriel) ont été conçues pour permettre à tous et à toutes de pouvoir s'emparer facilement de cette action. Renvoyez vos vidéos pour être au cœur de la journée olympique du 23 juin et de l’hommage prévu aux soignants ce jour-là ».

La deuxième, Dicosport, permettra de « travailler autour de la maîtrise de la langue française, tant à l'écrit qu'à l'oral pour contribuer à la création d'un dictionnaire académique des 100 ans de l'olympisme et du paralympisme. Une plateforme support a été construite pour l'occasion afin de permettre aux élèves comme aux enseignants d'accéder à des documents d'aide construits comme de véritables ressources pour permettre à tous de mener à bien ce projet. Sur cette première année de lancement, les lettres A à G sont ouvertes pour valider votre contribution ».

C’est déjà pas assez galère comme ça de mener les enfants à la baguette pour leur faire respecter les distances de sécurité, immobiles sur une ligne tracée au sol ou avançant bras tendus en avant, les uns derrière les autres ? (Non, tu n’as pas le droit de lui donner la main.)

Il va aussi falloir les faire danser selon un code établi, de façon uniformisée, comme des animaux de foire ?

Assez ! Assez ! Assez ! Je n’en peux plus ! Laissez-les se mouvoir, s’approprier leur corps, bouger au gré de leur sensibilité ; préservez chez ces petits êtres la liberté d’aller et venir, on n’est pas en prison ! 

Dansez partout, pas que chez vous !

dimanche 14 juin 2020

Au bal


La nuit dernière, fête au château, grand bal pour tous les animaux ! Petite souris coquine, à la robe soyeuse, je cherchais une proie, furetant de-ci, de-là. 

Tu es venu vers moi, dans ton costume de chat, la fourrure noire étincelante, les yeux verts irradiants, la voix câline et caressante. Grand chat noir enjôleur, souris grise effrontée…

Nous avons tournoyé, nous avons virevolté, tendrement enlacés. Nous étions ivres, émerveillés. 

Puis je t'ai invité à me suivre dehors, à te coucher à mes côtés dans l'herbe tendre, sous les étoiles ; je voulais te humer, te goûter, te dévorer, ne faire de toi qu'une bouchée. 

Je me souviens de ce premier baiser et puis après, de ma robe argentée toute fripée, de mon grand décolleté, de ta tête alanguie posée sur ma poitrine, de ta main sur mon ventre. 

Apaisée, rassasiée, j'ai su que je te garderais, que je t'avais trouvé.

samedi 13 juin 2020

T'es-tu lavé les mains ?

                 

Les affaires ont repris sérieusement pour moi mardi 2 juin après-midi, une mission de remplacement m’étant confiée dans l’école maternelle la plus éloignée de mon domicile.

Échelonnement des arrivées et des départs des élèves oblige, l’on m’a donné le créneau de 9 heures à midi et de 14 heures à 16 heures 30, ce qui m’a permis, le matin, de partir de chez moi à une heure raisonnable ; c’est-à-dire que je n’ai pas eu à avancer mon réveil comme si j’avais dû prendre mon poste à 8 heures 30, soit être sur place aux environs de 8 heures.

Car, comme tout le monde le sait, dans les écoles et surtout en maternelle, les enseignant-e-s arrivent en avance ; le travail commence avant que les élèves ne soient en classe, il y a toujours des photocopies à faire, du matériel à préparer…

Mardi après-midi, donc, j’agence la salle de classe à ma façon en respectant la distanciation physique préconisée, en attribuant à chaque élève un espace personnel et un « matériel de base » : crayon à papier, assortiment de crayon de couleur et de feutres pour colorier et dessiner, paire de ciseaux, flacon de colle, ardoise et feutre effaçable, barquette contenant des pots de pâte à modeler et les ustensiles qui vont avec (rouleau, couteau, moule emporte-pièce).

À partir du jeudi 4 juin, j’aurai sous ma responsabilité un groupe d’enfants reprenant le chemin de l’école après presque trois mois d’interruption : il faudra « y aller mollo » avec eux, tout en intégrant ces précautions drastiques mises en place contre la diffusion du virus.

Attention danger ! Port du casque masque obligatoire pour les adultes ! Toute la journée, sauf pour manger, même pendant les récrés. L’application du protocole sanitaire est très stricte, jusqu’à en avoir la nausée, au vu du zèle des enseignant-e-s à le faire respecter par des enfants entre 3 ans et 6 ans et à les diriger comme de petits soldats.

Nour, Carla et Sefora (en grande section), Raphaël (moyenne section) et Narjes (petite section) sont présent-e-s tous les jours et s’adaptent facilement aux nouvelles contraintes scolaires. Se laver les mains (avant d’entrer en classe, avant et après le passage aux toilettes, avant et après la récréation, avant la cantine ou le retour à la maison, soit une dizaine de fois dans la journée) ne leur pose aucun problème, les gestes sont déjà intégrés.

Alors à quoi bon leur seriner la comptine du lavage des mains avec le serpent, le hérisson, l’ours, le ver de terre, la poule et le koala ? Ils savent, ils ont compris, ils le font avec le sourire ; d’autant plus que pour se rincer, l’eau est tiède, c’est agréable !

    Concernant les porte-manteaux, il doit y avoir une distance entre les vêtements. Chacun de mes petits élèves aura, au-dessus du sien, une étiquette avec son prénom et son dessin (dessine-toi avec ta famille) ornementé de gommettes en forme d’étoile dorées ou argentées.

         Avec cinq enfants en moyenne dans ma classe (mes autres collègues en ont une dizaine), le langage est très présent, chacun-e peut s’exprimer comme bon l’entend, en français, en anglais, en arabe, en roumain, en portugais. Je suis là pour gérer le temps de parole, je pose des questions, je réponds aux leurs, les conversations sont intéressantes.     

Gabriel, Fabio et Axel (en petite section) ne seront présents que par intermittence, ce sera un peu plus compliqué de les empêcher de toucher à tout ce qui se présente dans leur champ de vision. Mais il y a suffisamment de jeux, de puzzles, de matériel éducatif dans la classe pour qu’ils choisissent ceux qui leur plaisent et qu’ils puissent les manipuler à leur table attitrée ou par terre (sans qu’ils se les échangent, évidemment) et ainsi satisfaire leur curiosité et leur soif de découverte.

À partir du lundi 9 et jusqu’au vendredi 12 juin (dernier jour de mon remplacement), Amel sera ma « dame de service ». Nous préparerons ensemble, avec les enfants, de grandes cartes décorées et des cadeaux pour « la fête des cœurs » instituée dans l’école ; nous y prendrons beaucoup de plaisir.

         Comme les arrivées et les sorties, les récréations sont échelonnées. Je partage la cour avec une collègue particulièrement gratinée, qui hurle à tout bout de champ sur les gamins qui s’approchent trop près les uns des autres.

Moi je dessine des marelles, des parcours ludiques à la craie sur le goudron, j’engage les enfants à les suivre, puis ils inventent le leur ; ils tracent aussi des maisons, des soleils, des fleurs, des personnages, des nuages, des tourbillons, des cœurs, des ronds, des carrés, des vagues, des zigzags, des lettres, des mots…

         Pendant ce temps, ma collègue s’évertue à nettoyer les guidons des vélos et des trottinettes (que les enfants ne peuvent s’empêcher de se prêter) avec de la solution hydroalcoolique en spray, parce que « le virucide sent mauvais et qu’il laisse des traces ». Je n’ose même pas lui dire que ce qui est utilisé pour les mains n’a pas d’effet sur les surfaces, enfin c’est ce que j’ai compris, à quoi bon de toute façon, chacun reste sur sa position, dans sa compréhension et son interprétation du monde d’après et de ce qu’il convient d’y faire ou pas.

Ah oui, je n’avais pas fait gaffe, je n’y pensais même pas, interdiction formelle de toucher aux poteaux métalliques se trouvant dans la cour ! Moi j’ai eu la mauvaise idée de les intégrer dans mes parcours, les enfants devant tourner autour en suivant la boucle tracée au sol… Ma collègue ne s’est pas gênée pour punir certains de ses élèves le long du mur (qu’ils touchaient aussi) parce qu’ils l’avaient fait, il y en a qui pleuraient.

Ça m’a rendue dingue, cette surveillance à outrance, ces rappels incessants à la distanciation, ces injonctions à contrôler son corps, à s’éloigner des autres, à ne pas bouger, à rester tranquille. Merde, on n’est pas dans un Ehpad ! Et quand bien même ! Quelle violence, pour un enfant,  cette privation de liberté jusque dans ses mouvements! Quelle exagération, même en zone orange !

We don’t need no education

We don’t need no thought control

No dark sarcasm in the classroom

Teachers live the kids alone

Hey teachers live the kids alone

All in all it’s just another brick in the wall

All in all you’re just another brick in the wall

(Pink Floyd, 1979, merci à JFred de m’avoir rappelé ces paroles exprimant parfaitement mon ressenti)

     Dès lundi 15 juin, une nouvelle mission m’attend dans une école maternelle bien plus proche de chez moi. J’y avais encadré à deux reprises des enfants de soignants, que des filles, dans une ambiance détendue et bienveillante. J’espère que ce sera toujours le cas.

jeudi 11 juin 2020

La Mouzaïa

Ma cousine Clarisse travaille chez Michelin et m’a envoyé il y a peu des extraits de deux nouveaux Guides Verts « Voyage au bout de la rue » en exclu !

Amatrice d’endroits insolites, j’ai eu vite fait d’ajouter à ma liste La Mouzaïa, ancien quartier d’habitations ouvrières composé de ruelles pavées (villas) situé dans le 19e arrondissement de Paris, entre le parc de la Butte du Chapeau Rouge et le parc des Buttes Chaumont.

Je m’y suis rendue de chez moi en voiture en 30 minutes chrono le matin du lundi de Pentecôte (1er juin) par un soleil radieux dans un ciel bleu azur.

Arrivée rue de Mouzaïa (à pied depuis la rue de Périgueux où je me suis facilement garée), j’ai laissé mes pas me guider d’une maison à une autre, d’un jardin à un autre, dans un cadre enchanteur, arboré et fleuri.

Villa Félix Faure, villa Sadi Carnot, villa des Lilas, villa de la Renaissance, villa du Danube, villa du Progrès, villa de Bellevue, villa Émile Loubet, villa Alexandre Ribot…

La tête m’a tourné devant tant de calme et de splendeur, de chants d’oiseaux et de sérénité. Mes photos sont là en un clic, sous ma photo masquée.


dimanche 7 juin 2020

Le naufragé


Il faisait déjà chaud sur le port en cette matinée de printemps, à peine neuf heures et demie. Joe avait bu deux cafés allongés et s’apprêtait à commander son premier pastis quand son regard fut attiré par un petit voilier qui accostait juste en face de la terrasse où il s’était échoué.

La nuit avait été rude. De la journée à venir, il n’en attendait rien de plus qu’un taux suffisant d’alcool dans le sang pour sombrer dans un long et profond sommeil. Sombrer. Il en était là, il avait fait de sa vie un véritable naufrage. Il était tombé si bas, en si peu de temps !

Après quelques petits verres de jaune, il rentrerait chez lui, il le faudrait, à un moment ou à un autre. Il s’arrêterait à la supérette pour acheter quelques bouteilles qui parviendraient enfin, il l’espérait, à endormir sa douleur, à lui faire perdre conscience, à l’emporter jusqu’au néant. Il se devrait d’achever ce qu’il avait commencé.

Il avait hélé le serveur, pour le moment occupé à une autre table. En attendant, il se mit à observer la femme, plus très jeune, petite et plutôt ronde, qui s’affairait, seule, sur le ponton, pour amarrer solidement son esquif.

Elle portait une marinière bleue et blanche, un pantalon corsaire assorti, des espadrilles rouges. Ses cheveux bruns formaient deux longues nattes, son chapeau de paille était orné de fleurs de coquelicots. Cela le fit sourire, il ne savait pourquoi.

Joe fut tenté un instant d’aller lui donner un coup de main, puis il se ravisa. Le serveur arrivait avec sa commande.

lundi 1 juin 2020

Des nouvelles de MAM

MAM, c’est Musique Acoustique Machine, trio formé par François Michaud (violon, alto), Viviane Arnoux (accordéon, chant) et Paul Vignes (human beatbox, clavier, chant).

MAM enregistre incessamment sous peu son nouvel album « Time Box » qui viendra compléter les précédents « Meddled Times » et « Human Swing Box ». Pour le réaliser (sortie novembre 2020), les trois musiciens, issus d’horizons musicaux différents, ont lancé un appel à financement participatif sur Ulule. Il est encore temps d’y souscrire !



MAM et moi, c’est une longue et vieille histoire, commencée avec le chanteur Thomasi dont j’avais chroniqué les albums « Lundi dans la lune », « Le bazar du bizarre » et « Les bellespersonnes » pour le magazine « Sur la même longueur d’ondes » : François Michaud y faisait vibrer les cordes de son violon. 

Un concert de Thomasi au Zèbre de Belleville m’a donné l’opportunité de rencontrer le violoniste qui m’a parlé de ses projets musicaux avec Viviane Arnoux. J’ai alors découvert MAM sur disque puis en concert : le dernier en date à la Bellevilloise, le 11 novembre 2017 ; j’y avais invité plein d’ami-e-s.

dimanche 31 mai 2020

Les disparitions

Le 10 avril 2019

Les chagrins, les regrets, les blessures, le réchauffement climatique au centre des préoccupations, la déforestation, les menaces d’extinction, les catastrophes écologiques, les guerres jamais finies, les attentats terroristes, les discours extrémistes, les inégalités sociales, les Roms, les migrants, les expulsés, les sans-abris, les jeunes et tous les autres, les retraités, les étudiants, les licenciés, les chômeurs, les pauvres toujours plus pauvres, la colère à tout-va, le monde à vau l’eau, ras-le-bol, c’en est trop, les manifestations, l’explosion de violence, la fièvre destructrice, le tumulte, le chaos, les affrontements, les répressions, les riches toujours plus riches, la classe moyenne en chute libre, les conversations insipides, le dictat des smartphones, de l’entre soi, du m’as-tu vu, de l’impudeur, de l’indécence, mots incendiaires, mauvais esprit, on s’en fout de ta vie, au bord des larmes et à deux doigts de me barrer, rentrer chez moi en vitesse, retrouver l’harmonie, le silence, la solitude en compagnie des chats, mes souvenirs depuis l’enfance, les événements cycliques ; j’ai toujours été ainsi, imperfectible ; l’essentiel est derrière moi, je n’ai plus grand-chose d’autre à attendre, plus rien ne me pousse, ça pourrait bien s’arrêter demain.


Ah bon, tu me trouves l’air dépressif ?


mercredi 27 mai 2020

La cour des grands

Hier matin un peu avant huit heures, prête à partir, je téléphone à la secrétaire de l’inspection pour lui faire part de ma difficulté à retourner dans l’école où travaillait Odile, je lui explique pourquoi. 

Elle me répond qu’il est inutile d’exposer des arguments supplémentaires, l’inspecteur est à ses côtés et me propose de rester à mon domicile, on m’appellera si c’est nécessaire. J’objecte et revendique la possibilité de me rendre à mon école de rattachement où je me rends utile : c’est d’accord.

Ce n’est pas de la solitude dans mon appartement dont j’ai besoin, c’est de bouger, de voir du monde, d’aider le directeur et les collègues, d’être en contact avec les élèves, de faire quelque chose de positif au cours de la journée.

Objectif atteint : impression de fiches de travail en salle informatique, soutien à Luqman et Hawa en CE2 pendant que ma collègue fait cours aux quatre CP de son groupe, photocopie et découpage d’étiquettes au nom des élèves qui reviendront mardi 2 juin (Siraj est dans la liste, j’en suis contente, il fait partie des élèves décrocheurs), installation et encadrement d’un nouveau parcours sportif dans la cour des grands pour la récré de l’aprèm…

Aboubacar m’avait demandé « beaucoup de sauts » il est servi, il me remercie en riant, il m’aime bien comme maîtresse. Mon collègue Charles de retour à l’école a pris en charge les CM2, il les chronomètre sur le parcours, attention aux pénalités si l’on ne le respecte pas scrupuleusement !

« La cour des grands » c’est aussi une chanson de Luke sur l’album « La vie presque » datant de 2001 (ce qui vint ensuite fut nettement plus bourrin et inintéressant), les paroles sont plombantes mais extrêmement lucides sur ce qui attend tous ces chérubins en culotte courte en survêtement de marque.


lundi 25 mai 2020

Blue Monday


Ce matin, aux alentours de neuf heures quinze (j’étais en salle informatique dans mon école de rattachement pour effectuer des impressions), appel de la secrétaire de l’inspection qui, suite au décès brutal d’une enseignante au cours du week-end, me demande de rejoindre au plus vite l’école élémentaire du village d’à côté, celle où j’avais passé la première semaine de rentrée post-confinement, la même où suite à mon remplacement de trois semaines en CE1B, j’étais tombée malade toute la durée des vacances d’hiver.

Je pose alors la question qui me vient aux lèvres : « Qui est-ce ? » Et là je tombe des nues, la collègue de mon âge avec laquelle j’avais partagé mes repas durant cette semaine particulière a été victime d’une rupture d’anévrisme, une cellule psychologique est mise en place dans l’école, je dois aller là-bas en renfort, sur ordre de l’inspecteur.

Je lance les impressions qu’il me reste à faire, je termine mon café, je passe aux toilettes, j’informe le directeur de mon départ et pour quelle raison ; il me dit qu’il faut penser à profiter de la vie puisqu’elle peut s’arrêter d’un instant à l’autre, il me conseille de faire attention sur la route.

Lorsque j’arrive, des enfants sont en récréation dans la cour, c’est le collègue de CP qui vient m’ouvrir, ils travaillaient ensemble, Odile et lui. À l’intérieur de l’école il y a des personnes masquées que je connais et d’autres, missionnées par l’inspection académique, que je connais pas, on se présente et on échange dans les couloirs, j’évite de regarder du côté de la classe d’Odile, j’entends sa voix, je redescends pour voir le directeur, lequel me confie qu’elle n’a pas souffert, que c’est arrivé jeudi dans sa maison en compagnie de ses enfants, qu’elle est morte d’un coup, que les secours n’ont rien pu faire.

Merde, quoi ! Odile, 57 ans, née la même année que moi, qui il y a deux semaines me parlait des vacances qu’elle comptait prendre cet été dans les Pyrénées en camp GCU, Odile qui venait d’être grand-mère, qui depuis le confinement avait accueilli dans sa maison son fils, sa fille, sa belle-fille (étudiants) et sa petite-fille, Odile qui a appris à lire à des centaines d’enfants, qui travaillait dans cette école depuis plus de vingt ans !

Dans le brouillard toute la journée, montrant bonne figure aux collègues et aux enfants malgré le chagrin sous mon masque, osant un regard vers la classe d’Odile et constatant que ses élèves s’y trouvaient avec un remplaçant ; ce n’est pas tous les jours que l’on remplace quelqu’un pour cause de décès, je n’aurais pas aimé avoir cette charge à supporter.

J’ai aidé Anaëlle à travailler, comme je l’avais fait la semaine précédente, j’ai corrigé et classé ses feuilles d’exercices, je lui ai lu la fiche documentaire sur le blaireau, elle a répondu aux questions et je les ai écrites.

Demain non, je n’y retourne pas dans cette école, c’est trop pénible, d’ailleurs une autre remplaçante y est déjà missionnée en tant que renfort pour la semaine. Maintenant, ce sont les grandes filles de CM2 qui préparent le parcours gymnique pour la récréation de l’après-midi ; l’idée a germé, tant mieux, j’ai apporté une petite pierre à l’édifice…

Je ne suis pas indispensable, personne ne l’est ; un jour on est là, le lendemain on n’y est plus, je pense à toi Odile, j’aurais tellement aimé te voir encore et rire avec toi !

« Blue Monday » est un titre du groupe britannique New Order (qui succéda à Joy Division après le suicide de son chanteur Ian Curtis) et fait référence, Outre-Manche, au « jour le plus déprimant de l’année ».