Le ciel était
couvert, l’air légèrement humide. Ce n’était pas gênant, il ne faisait pas
froid. Pour peu que l’on ait tout de même un bon pull, un bonnet et un
coupe-vent avec capuche, au cas où il pleuvrait !
Avec le téléphérique,
les nouveaux quartiers étaient facilement accessibles pour les piétons.
L’ascension en cabine permettait de surplomber un panorama à couper le
souffle ! L’on découvrait la ville d’une façon insolite avant d’entamer
lentement la descente, sur l’autre rive.
La station se
trouvait dans les anciennes fonderies, longtemps restées en friche. Cet immense
site industriel avait été depuis peu réhabilité en un espace public festif et
multiculturel.
La traversée
des grands et hauts bâtiments, où l’on pouvait voir d’antiques machines, serait
réalisée tranquillement, en flânant. Il régnait là une douceur de vivre dont il
faisait bon s’imprégner.
Devant la
médiathèque se déclinant sur plusieurs étages, de grands panneaux présentaient
une exposition de photographies sur le thème du réchauffement climatique.
Dans des
recoins aménagés, des jeunes gens se livraient à une joute chorégraphiée avec
des sabres laser tous droits sortis de Star Wars, d’autres s’entraînaient à la
danse hip hop, d’autres encore, en position du lotus, méditaient…
Un territoire
utopique, atypique, préservé des violences qui agitaient le monde extérieur.
Les gens semblaient heureux d’être là, chacun vaquant à ses occupations.
Les longs
passages franchis dans la contemplation, la sortie présentait un autre
décor : une architecture résolument contemporaine, un quartier tout juste
sorti de terre.
Le temps
s’était rafraîchi, les nuages se faisaient menaçants. Qu’à cela ne
tienne ! Laissant derrière elle les ateliers monumentaux et les bâtiments
design, Sonia se dirigea vers la rue dont on lui avait parlé à l’Office de
Tourisme.
Descente
prudente en foulant les pavés. En contrebas, les constructions modernes ont
disparu, cédant la place à de solides bâtisses en murs de pierre, toits en
ardoise, volets en bois et rideaux aux fenêtres. Il y a un café accueillant qui
fait l’angle. L’on tourne à gauche…
La voilà,
cette rue où l’on trouve les rares maisons du XVIIe siècle encore debout,
épargnées miraculeusement des bombardements de la dernière guerre !
Il n’y a pas
un chat. Ou plutôt si, il y en a plein ! Celui-ci dort sur un banc,
ceux-là dans un panier, sur un fauteuil, en haut d’un mur, au milieu des pots
de fleurs… D’autres se baladent, font leur toilette. Les plus amicaux réclament
des caresses.
Sonia prend
les félins en photos puis s’aventure dans un passage étroit où elle découvre un
jardin exotique luxuriant, plein de charme. Plus bas elle pousse la porte du
petit musée retraçant l’histoire de la rue, plus loin elle admire des décors de
théâtre entreposés soigneusement en attendant la belle saison…
Partout des
plantations, des cactus, des palmiers, des arbres fruitiers, des aromates, des
légumes, des plantes fleuries, des massifs d’ornement. Des milliers de pots, de
toutes les tailles, de toutes les couleurs, sont posés sur les pavés, tout au
long de la rue.
Des objets en
faïence, des cafetières métalliques émaillées, des paniers en osier, tout un
bric-à-brac soigneusement agencé. Des tableaux de toute sorte, pas mal de croûtes,
sont accrochés sur les murs extérieurs. Il y a des jardinières aux fenêtres.
L’endroit
semble habité, mais il n’y a personne. À part les chats, bien sûr. Mais eux ne
savent pas lire ! Une maison fantaisiste et farfelue, comme doivent
certainement l’être aussi ses propriétaires, attire l’œil de Sonia.
De drôles de
messages sont inscrits sur les pancartes accrochées au grillage du
jardin :
Volkswagen petite voiture pour grosse
madame, suivi de :
Mercedes grosse voiture pour petite
madame, puis :
Vasistas petite fenêtre avec grand
carreau, enfin soyons fous :
La banane c’est bon car y’a pas d’os
dedans…
« Y’a
pas d’mal à s’faire plaisir ! » pense-t-elle tout haut, un sourire
illuminant son visage.
Sur un mur en
hauteur, elle distingue une vieille fresque délavée représentant un
révolutionnaire, bras levé, portant le bonnet rouge. Avec, au-dessous, cette
phrase sublime :
Ne pas céder sur l’impossible.
Tout près,
trône une barrière en bois sculpté où sont peints, en doré sur fond bleu :
Les beaux dimanches.
Une autre
fresque représente une jeune femme en robe longue, aussi haute que la porte
voisine. Cheveux lâchés, mains sur les hanches, elle lance à la
cantonade :
Ici, je vais faire mon carnaval !
Sur une
petite table ronde peinte en rouge, il y a des galets où sont écrits de jolis
mots. Sonia s’amuse à les déplacer, à sélectionner ceux qui lui parlent. Elle
choisit : Loin. Absolument. Une.
Liberté. Puis elle photographie sa composition.
Avant de
quitter la rue, Sonia s’attarde sur une habitation qu’elle n’a pas pris la
peine de détailler en arrivant.
C’est la
maison bleue, des fois qu’on en doute, avec son enseigne bleue, ses volets
bleus, ses fenêtres pimpantes aux contours peints en bleu. Sur la porte
d’entrée, la peinture bleue s’écaille. Un écriteau imprimé en bleu, format A4,
a été plastifié et agrafé à même le bois.
Sonia
s’approche :
Tant qu’un homme pourra mourir de faim à
la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les
institutions humaines.
Eugène Varlin
Sur la boîte
aux lettres, s’affichent deux noms et deux prénoms de femmes.