dimanche 31 mai 2020

Les disparitions

Le 10 avril 2019

Les chagrins, les regrets, les blessures, le réchauffement climatique au centre des préoccupations, la déforestation, les menaces d’extinction, les catastrophes écologiques, les guerres jamais finies, les attentats terroristes, les discours extrémistes, les inégalités sociales, les Roms, les migrants, les expulsés, les sans-abris, les jeunes et tous les autres, les retraités, les étudiants, les licenciés, les chômeurs, les pauvres toujours plus pauvres, la colère à tout-va, le monde à vau l’eau, ras-le-bol, c’en est trop, les manifestations, l’explosion de violence, la fièvre destructrice, le tumulte, le chaos, les affrontements, les répressions, les riches toujours plus riches, la classe moyenne en chute libre, les conversations insipides, le dictat des smartphones, de l’entre soi, du m’as-tu vu, de l’impudeur, de l’indécence, mots incendiaires, mauvais esprit, on s’en fout de ta vie, au bord des larmes et à deux doigts de me barrer, rentrer chez moi en vitesse, retrouver l’harmonie, le silence, la solitude en compagnie des chats, mes souvenirs depuis l’enfance, les événements cycliques ; j’ai toujours été ainsi, imperfectible ; l’essentiel est derrière moi, je n’ai plus grand-chose d’autre à attendre, plus rien ne me pousse, ça pourrait bien s’arrêter demain.


Ah bon, tu me trouves l’air dépressif ?


mercredi 27 mai 2020

La cour des grands

Hier matin un peu avant huit heures, prête à partir, je téléphone à la secrétaire de l’inspection pour lui faire part de ma difficulté à retourner dans l’école où travaillait Odile, je lui explique pourquoi. 

Elle me répond qu’il est inutile d’exposer des arguments supplémentaires, l’inspecteur est à ses côtés et me propose de rester à mon domicile, on m’appellera si c’est nécessaire. J’objecte et revendique la possibilité de me rendre à mon école de rattachement où je me rends utile : c’est d’accord.

Ce n’est pas de la solitude dans mon appartement dont j’ai besoin, c’est de bouger, de voir du monde, d’aider le directeur et les collègues, d’être en contact avec les élèves, de faire quelque chose de positif au cours de la journée.

Objectif atteint : impression de fiches de travail en salle informatique, soutien à Luqman et Hawa en CE2 pendant que ma collègue fait cours aux quatre CP de son groupe, photocopie et découpage d’étiquettes au nom des élèves qui reviendront mardi 2 juin (Siraj est dans la liste, j’en suis contente, il fait partie des élèves décrocheurs), installation et encadrement d’un nouveau parcours sportif dans la cour des grands pour la récré de l’aprèm…

Aboubacar m’avait demandé « beaucoup de sauts » il est servi, il me remercie en riant, il m’aime bien comme maîtresse. Mon collègue Charles de retour à l’école a pris en charge les CM2, il les chronomètre sur le parcours, attention aux pénalités si l’on ne le respecte pas scrupuleusement !

« La cour des grands » c’est aussi une chanson de Luke sur l’album « La vie presque » datant de 2001 (ce qui vint ensuite fut nettement plus bourrin et inintéressant), les paroles sont plombantes mais extrêmement lucides sur ce qui attend tous ces chérubins en culotte courte en survêtement de marque.


lundi 25 mai 2020

Blue Monday


Ce matin, aux alentours de neuf heures quinze (j’étais en salle informatique dans mon école de rattachement pour effectuer des impressions), appel de la secrétaire de l’inspection qui, suite au décès brutal d’une enseignante au cours du week-end, me demande de rejoindre au plus vite l’école élémentaire du village d’à côté, celle où j’avais passé la première semaine de rentrée post-confinement, la même où suite à mon remplacement de trois semaines en CE1B, j’étais tombée malade toute la durée des vacances d’hiver.

Je pose alors la question qui me vient aux lèvres : « Qui est-ce ? » Et là je tombe des nues, la collègue de mon âge avec laquelle j’avais partagé mes repas durant cette semaine particulière a été victime d’une rupture d’anévrisme, une cellule psychologique est mise en place dans l’école, je dois aller là-bas en renfort, sur ordre de l’inspecteur.

Je lance les impressions qu’il me reste à faire, je termine mon café, je passe aux toilettes, j’informe le directeur de mon départ et pour quelle raison ; il me dit qu’il faut penser à profiter de la vie puisqu’elle peut s’arrêter d’un instant à l’autre, il me conseille de faire attention sur la route.

Lorsque j’arrive, des enfants sont en récréation dans la cour, c’est le collègue de CP qui vient m’ouvrir, ils travaillaient ensemble, Odile et lui. À l’intérieur de l’école il y a des personnes masquées que je connais et d’autres, missionnées par l’inspection académique, que je connais pas, on se présente et on échange dans les couloirs, j’évite de regarder du côté de la classe d’Odile, j’entends sa voix, je redescends pour voir le directeur, lequel me confie qu’elle n’a pas souffert, que c’est arrivé jeudi dans sa maison en compagnie de ses enfants, qu’elle est morte d’un coup, que les secours n’ont rien pu faire.

Merde, quoi ! Odile, 57 ans, née la même année que moi, qui il y a deux semaines me parlait des vacances qu’elle comptait prendre cet été dans les Pyrénées en camp GCU, Odile qui venait d’être grand-mère, qui depuis le confinement avait accueilli dans sa maison son fils, sa fille, sa belle-fille (étudiants) et sa petite-fille, Odile qui a appris à lire à des centaines d’enfants, qui travaillait dans cette école depuis plus de vingt ans !

Dans le brouillard toute la journée, montrant bonne figure aux collègues et aux enfants malgré le chagrin sous mon masque, osant un regard vers la classe d’Odile et constatant que ses élèves s’y trouvaient avec un remplaçant ; ce n’est pas tous les jours que l’on remplace quelqu’un pour cause de décès, je n’aurais pas aimé avoir cette charge à supporter.

J’ai aidé Anaëlle à travailler, comme je l’avais fait la semaine précédente, j’ai corrigé et classé ses feuilles d’exercices, je lui ai lu la fiche documentaire sur le blaireau, elle a répondu aux questions et je les ai écrites.

Demain non, je n’y retourne pas dans cette école, c’est trop pénible, d’ailleurs une autre remplaçante y est déjà missionnée en tant que renfort pour la semaine. Maintenant, ce sont les grandes filles de CM2 qui préparent le parcours gymnique pour la récréation de l’après-midi ; l’idée a germé, tant mieux, j’ai apporté une petite pierre à l’édifice…

Je ne suis pas indispensable, personne ne l’est ; un jour on est là, le lendemain on n’y est plus, je pense à toi Odile, j’aurais tellement aimé te voir encore et rire avec toi !

« Blue Monday » est un titre du groupe britannique New Order (qui succéda à Joy Division après le suicide de son chanteur Ian Curtis) et fait référence, Outre-Manche, au « jour le plus déprimant de l’année ».

dimanche 24 mai 2020

Une rue en ville


Le ciel était couvert, l’air légèrement humide. Ce n’était pas gênant, il ne faisait pas froid. Pour peu que l’on ait tout de même un bon pull, un bonnet et un coupe-vent avec capuche, au cas où il pleuvrait !

Avec le téléphérique, les nouveaux quartiers étaient facilement accessibles pour les piétons. L’ascension en cabine permettait de surplomber un panorama à couper le souffle ! L’on découvrait la ville d’une façon insolite avant d’entamer lentement la descente, sur l’autre rive.

La station se trouvait dans les anciennes fonderies, longtemps restées en friche. Cet immense site industriel avait été depuis peu réhabilité en un espace public festif et multiculturel.

La traversée des grands et hauts bâtiments, où l’on pouvait voir d’antiques machines, serait réalisée tranquillement, en flânant. Il régnait là une douceur de vivre dont il faisait bon s’imprégner.

Devant la médiathèque se déclinant sur plusieurs étages, de grands panneaux présentaient une exposition de photographies sur le thème du réchauffement climatique.

Dans des recoins aménagés, des jeunes gens se livraient à une joute chorégraphiée avec des sabres laser tous droits sortis de Star Wars, d’autres s’entraînaient à la danse hip hop, d’autres encore, en position du lotus, méditaient…

Un territoire utopique, atypique, préservé des violences qui agitaient le monde extérieur. Les gens semblaient heureux d’être là, chacun vaquant à ses occupations.

Les longs passages franchis dans la contemplation, la sortie présentait un autre décor : une architecture résolument contemporaine, un quartier tout juste sorti de terre.

Le temps s’était rafraîchi, les nuages se faisaient menaçants. Qu’à cela ne tienne ! Laissant derrière elle les ateliers monumentaux et les bâtiments design, Sonia se dirigea vers la rue dont on lui avait parlé à l’Office de Tourisme.

Descente prudente en foulant les pavés. En contrebas, les constructions modernes ont disparu, cédant la place à de solides bâtisses en murs de pierre, toits en ardoise, volets en bois et rideaux aux fenêtres. Il y a un café accueillant qui fait l’angle. L’on tourne à gauche…

La voilà, cette rue où l’on trouve les rares maisons du XVIIe siècle encore debout, épargnées miraculeusement des bombardements de la dernière guerre !

Il n’y a pas un chat. Ou plutôt si, il y en a plein ! Celui-ci dort sur un banc, ceux-là dans un panier, sur un fauteuil, en haut d’un mur, au milieu des pots de fleurs… D’autres se baladent, font leur toilette. Les plus amicaux réclament des caresses.

Sonia prend les félins en photos puis s’aventure dans un passage étroit où elle découvre un jardin exotique luxuriant, plein de charme. Plus bas elle pousse la porte du petit musée retraçant l’histoire de la rue, plus loin elle admire des décors de théâtre entreposés soigneusement en attendant la belle saison…

Partout des plantations, des cactus, des palmiers, des arbres fruitiers, des aromates, des légumes, des plantes fleuries, des massifs d’ornement. Des milliers de pots, de toutes les tailles, de toutes les couleurs, sont posés sur les pavés, tout au long de la rue.

Des objets en faïence, des cafetières métalliques émaillées, des paniers en osier, tout un bric-à-brac soigneusement agencé. Des tableaux de toute sorte, pas mal de croûtes, sont accrochés sur les murs extérieurs. Il y a des jardinières aux fenêtres.

L’endroit semble habité, mais il n’y a personne. À part les chats, bien sûr. Mais eux ne savent pas lire ! Une maison fantaisiste et farfelue, comme doivent certainement l’être aussi ses propriétaires, attire l’œil de Sonia.

De drôles de messages sont inscrits sur les pancartes accrochées au grillage du jardin :

Volkswagen petite voiture pour grosse madame, suivi de :

Mercedes grosse voiture pour petite madame, puis :

Vasistas petite fenêtre avec grand carreau, enfin soyons fous :

La banane c’est bon car y’a pas d’os dedans

« Y’a pas d’mal à s’faire plaisir ! » pense-t-elle tout haut, un sourire illuminant son visage.

Sur un mur en hauteur, elle distingue une vieille fresque délavée représentant un révolutionnaire, bras levé, portant le bonnet rouge. Avec, au-dessous, cette phrase sublime :

Ne pas céder sur l’impossible.

Tout près, trône une barrière en bois sculpté où sont peints, en doré sur fond bleu :

Les beaux dimanches.

Une autre fresque représente une jeune femme en robe longue, aussi haute que la porte voisine. Cheveux lâchés, mains sur les hanches, elle lance à la cantonade :

Ici, je vais faire mon carnaval !

Sur une petite table ronde peinte en rouge, il y a des galets où sont écrits de jolis mots. Sonia s’amuse à les déplacer, à sélectionner ceux qui lui parlent. Elle choisit : Loin. Absolument. Une. Liberté. Puis elle photographie sa composition.

Avant de quitter la rue, Sonia s’attarde sur une habitation qu’elle n’a pas pris la peine de détailler en arrivant.

C’est la maison bleue, des fois qu’on en doute, avec son enseigne bleue, ses volets bleus, ses fenêtres pimpantes aux contours peints en bleu. Sur la porte d’entrée, la peinture bleue s’écaille. Un écriteau imprimé en bleu, format A4, a été plastifié et agrafé à même le bois.

Sonia s’approche :

Tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines.

Eugène Varlin

Sur la boîte aux lettres, s’affichent deux noms et deux prénoms de femmes.

samedi 23 mai 2020

Isïa Marie "C'est pas toi c'est moi" en live


Abonnée à la chaîne YouTube de l’excellente artiste parisienne Isïa Marie découverte il y a peu, j’ai reçu (lundi 18 mai) la notification d’une « Première » de sa chanson qui m’avait déjà tant touchée et interpellée : « C’est pas toi c’est moi » relatant avec pudeur, douleur et poésie, la détresse d’une femme battue par son conjoint.

Cette nouvelle version, d’autant plus mordante, sensible et inspirée, vaut absolument qu’on s’y arrête : temps suspendu pendant trois minutes cinquante secondes, chant sublimé par des effets discrets, rythmique imparable (Matthieu Caillot), synthés redoutables (Arthur Delamotte), invitation au lâcher prise, larmes aux yeux, beauté, tristesse, tout y est dit.

Isïa Marie est actuellement « en pleine composition d’un album, presque fini », alors tenez-vous-le pour dit, restez aux aguets, elle va faire parler d’elle !

vendredi 22 mai 2020

Bertrand Belin en concert


C’était ce soir de 20 heures à 21 heures sur France Inter. Le musicien parisien (également écrivain) s’accompagne à la guitare et interprète en solo des chansons de son répertoire, sur quinze ans de carrière. 

La vidéo tournée au studio CBE est pourrie, mais elle permet de se faire une idée du personnage, dandy folk rock inspiré, et d’être sous le charme de sa façon de jouer, tout à sa musique. 

Pour l’interview de Bertrand Belin par Rebecca Manzoni, rejoint au téléphone par Rodolphe Burger, il faudra revenir à la version audio. Le son y est bien meilleur, de toute façon. 


Bertrand Belin, 22 mai 2020 (audio)

jeudi 21 mai 2020

Mes deux journées à l'école (avant le pont de l'Ascension)


Lundi 18 mai, en route pour l’inconnu, mon portable comme d’hab’ à portée de main sur le siège passager. La secrétaire de l’inspection m’appelle généralement entre huit heures et huit heures quinze, mais là j’ai le temps d’arriver à mon école de rattachement, il presque huit heures et demie.

Le directeur est à la grille pour accueillir les élèves. Sous le préau, ceux qui sont déjà là patientent bien droits et silencieux, leurs pieds sur une ligne blanche tracée au sol respectant la distance imposée, en attendant de passer aux toilettes. Ils sont une quinzaine, il y a deux groupes, chaque enseignante est face à sa colonne, le visage masqué.

Je dis bonjour à mes collègues et aux enfants, je me nettoie les mains avec la solution hydroalcoolique se trouvant dans la poche de mon blouson tout en me dirigeant vers le bureau du directeur pour prendre un masque et le placer correctement sur mon visage afin d’éviter la buée sur les lunettes. La collègue du RASED est là aussi, ainsi que l’infirmière, je suis contente de les revoir pour de vrai !

Après le passage aux toilettes et le lavage des mains réglementaire, le tout mené sur une cadence assez militaire, les enfants se replacent au fur et à mesure sur leur ligne blanche. Puis, sur l’injonction de  leur maîtresse, ils montent en classe en file indienne bien éloignés les uns des autres, on entendrait une mouche voler. Y’a d’la joie, bonjour bonjour les hirondelles…

Dans mon esprit, je ne suis ici que temporairement, l’inspection va m’appeler d’un instant à l’autre ! Je me pose dans le hall d’accueil bien aéré par les deux portes ouvertes, je m’assois sur la chaise à accoudoirs et m’installe au bureau, je garde mon blouson mais je retire mon masque pour me servir une tasse du café de ma thermos, mon téléphone devant moi.

Sur le mur d’en face, la grosse horloge indique huit heures moins le quart. Mais oui bien sûr, entre-temps nous sommes passés à l’heure d’été ! J’approche une chaise, je monte dessus, je me saisis de l’objet pour avancer ses aiguilles, puis je le remets en place. Voilà une bonne chose de faite !

Je parle avec le directeur, la porte de son bureau donne sur le hall, donc on se voit de là où je suis assise. Il est sur son ordi puis au téléphone, alors je le laisse tranquille, je sors mon agenda.

À neuf heures quinze, je téléphone chez le vétérinaire et je prends rendez-vous pour Grigri, le dernier arrivé à la maison suite au décès de Monique, sa maîtresse. Après l’avoir fait tester (leucose féline) et vacciner, la prochaine étape est le tatouage et le détartrage de ses petites quenottes, sous anesthésie. Mercredi 24 juin à neuf heures : « Il sera bien à jeun depuis la veille au soir, vous n’entrez pas à l’intérieur du cabinet, on viendra chercher l’animal. »

À neuf heures trente, j’appelle l’inspection, dès fois que l’on m’ait oubliée ? La secrétaire me demande un instant, elle me rappelle au plus vite, ce qu’elle fait un quart d’heure après : « Vous restez sur votre école de rattachement jusqu’à nouvel ordre. » Bon ben voilà, au moins c’est clair, net et précis. Je m’enquiers auprès du directeur s’il a des choses à me faire faire, il me dit que non, alors je me réinstalle à mon bureau et me plonge dans la lecture de « Cheval de guerre ».

Je viens en renfort auprès des collègues dans la cour de récréation partagée en deux pour éviter le brassage des troupes groupes. Chaque enfant dispose, à l’intérieur d’un cerceau, d’une barquette étiquetée à son prénom avec des jeux dedans : échasses, corde à sauter, toupie, grenouille sauteuse, flacon à bulles… Ah ça les bulles c’est amusant, ils soufflent à qui mieux-mieux, et volent volent, les sphères légères, multicolores, dans le ciel bleu azur !

L’après-midi, j’installerai, avec les moyens du bord, deux parcours sportifs distincts, bien séparés, balisés avec des flèches et des lignes tracées à la craie, l’un pour les « grands » de CM2, l’autre pour le double niveau CP/CE2. Ils courent, ils sautent dedans et par-dessus, ils marchent dessus, ils s’équilibrent, ils bondissent, ils s’ébrouent, ils rigolent… « Attention, ne touchez pas au matériel, il n’y a que moi qui peux le faire ! »


Mardi 19 mai, pas de coup de fil de l’inspection et le directeur compte sur moi pour effectuer une saisie informatique des élèves passant en 6e en septembre 2020. Ce dont je m’acquitte au cours de la matinée, à mon bureau dans le hall d’accueil, sur un vieil ordinateur portable pas très réactif.

Je monte aussi en salle informatique, au deuxième étage, pour effectuer les impressions des fiches de travail données par les enseignant-e-s en distanciel, pour la semaine du 25 au 29 mai. Ces fiches sont destinées aux élèves assistant aux cours en présentiel, et aux familles qui gardent leurs enfants chez eux, qui n’ont pas d’imprimante à la maison et qui par conséquent viendront récupérer les documents à l’école.

L’après-midi, je n’ai le temps que d’installer un seul parcours, côté petits. J’ai apporté mon ordinateur portable et mon haut-parleur en blue tooth, j’installe mon matériel sous le préau et programme l’une de mes compils réalisée pendant le confinement, à dominante reggae, ragga et ryhm’n’blues.

Le grand dadais Aboubacar danse sur « Les cornichons » de Nino Ferrer, le petit Souleymane poursuit son apprentissage du maniement des échasses, Sofiane saute à la corde, Luqman me demande de rehausser le filet fixé entre les deux plots pour sauter encore plus haut, Omar fait des bulles, Hawa s’applique à franchir les obstacles, il fait beau, il fait chaud, la cour est pleine de soleil et du rire des enfants.


Épilogue : Le soir, à la maison, je sors mon téléphone de mon sac et je m’aperçois que l’inspection m’a laissé un message à précisément 12 heures 41. La secrétaire m’informait que l’inspecteur me donnait mon après-midi, je pouvais repartir chez moi, elle me souhaitait un bon et long week-end. Même si j’avais eu ce message en temps voulu, je serais restée à l’école. Le directeur comptait sur moi pour le seconder dans son travail, nous n’étions pas trop de deux pour l’effectuer.

mercredi 20 mai 2020

Expédition rurbaine

Lors de mes promenades dans un rayon d'un kilomètre autour de mon domicile pendant l'ère (révolue ?) du confinement, mes pas m'ont menée vers le camping de l'Ile Demoiselle, où plus personne ne campe vu l'état de l'endroit. 

Par contre, les graffeurs le fréquentent, preuves à l'appui !

Mon expédition rurbaine en images en cliquant simplement sur le lien, sous mon visage masqué :

mardi 19 mai 2020

L'Enlivreuse, entrevue avec Anne Cardona


Le 20 avril 2020, je recevais ton courriel de présentation de l’Enlivreuse, ta chaîne littéraire de lecture à voix haute sur le thème du confinement (nous étions alors en plein dedans) et de l’enfermement. Je me suis empressée de la découvrir, bien sûr !

Ta première vidéo, mise en ligne le mercredi 31 mars à 19 heures, proposait un extrait de « Voyage autour de ma chambre » de Xavier de Maistre, remis au goût du jour et fortement plébiscité dès le début du confinement. Ont suivi six autres lectures, toutes aussi goûtues et gouleyantes les unes que les autres, postées chaque mercredi à 19 heures.

Tu as une formation de comédienne et comme tu l’expliques dans ta présentation, tu es spécialisée dans les voix off. Tu donnes des cours de théâtre, tu es aussi chanteuse et musicienne…

Qu’est-ce qui t’a poussée à devenir l’Enlivreuse ?

En fait, je travaillais sur un projet de lecture à voix haute depuis trois ans déjà. Vu que j’avais animé une émission de télé pendant deux ans, j’étais dans une humeur « télé ». J’ai donc tourné un pilote d’émission télé en 2017, mais je ne l’ai pas trouvé suffisamment réussi pour tenter de le diffuser.

Ensuite, j’ai réfléchi à faire un podcast (idée que je n’ai d’ailleurs pas éliminée) puis, au moment de cette « pause » forcée, je me suis retrouvée chez moi avec des livres, du temps, un micro et une caméra… Alors une nuit d’insomnie, en me retournant dans mon lit, je me suis dit : « Et si je faisais une chaîne YouTube ? »

Je pense que beaucoup de gens aimeraient lire, ils en ont l’appétence, mais il y a une sorte d’inhibition, de peur par rapport à l’acte de lire. J’espérais que peut-être en « dédramatisant » la lecture, en présentant et en expliquant de manière assez simple des œuvres et des auteurs qui parfois font peur – trop illustres ou considérés comme trop intellos -, je pourrais peut-être entraîner des personnes à se mettre ou se remettre à lire.

Et au pire, leur donner un petit morceau, un « grain de beauté » une petite idée des mots, de la langue, de la musique, des sentiments à travers ma lecture, si elles n’ont pas l’envie, la possibilité, ou la force d’aller au-delà. Un petit amuse-gueule, c’est déjà tellement mieux que rien dans le ventre !

Comment t’est venue l’idée de ce néologisme, que tu déclines aussi en verbe par l’expression « Enlivrez-vous » ?

Là encore j’avais eu l’idée il y a deux ans, en proposant chez moi des soirées « enlivrées ». Je travaillais sur un thème (comme sur YouTube), je préparais des textes à lire, j’ouvrais les portes de mon appartement à qui voulait (dans la limite de 15 personnes !), je lisais et proposais à ceux qui en avaient envie de lire aussi, le tout au coin du feu avec de bonnes bouteilles…

D’où l’idée d’ivresse, avec le clin d’œil au poème de Baudelaire « Enivrez-vous ». Et puis dans « Enlivreuse » il y a aussi un peu le côté emmerdeuse, et je me reconnais bien là : emmerder le monde mais avec des livres !

Pourquoi le mercredi à 19 heures ? Et pourquoi pas, me répondras-tu ! Cela a-t-il néanmoins une explication ?

Parce que je ne voulais pas poster le samedi où personne n’est censé être devant son ordi ou dans les transports avec son téléphone (hum). Poster le dimanche aurait voulu dire être en stress le samedi si tout n’était pas bouclé, et puis le mercredi c’est le soir de La Grande Librairie, donc je prends la place de l’apéro littéraire avant le Grand Repas !

Combien de temps est nécessaire, en moyenne, pour préparer une vidéo, entre le moment où tu as l’idée et le moment où tu diffuses ? Car tes lectures sont précédées d’une présentation détaillée de l’auteur et de son œuvre, ce qui doit nécessiter des recherches approfondies de ta part puis la rédaction de tes notes qui sont toujours claires, concises, fort bien documentées…

Ça dépend du thème, certains sont plus simples que d’autres, de ma connaissance dudit thème, de mes idées, mais globalement je passe quatre ou cinq soirées entières de préparation pour chaque vidéo.

Je suppose que ce n’est rien comparé à d’autres chaînes littéraires incroyablement travaillées, documentées et intelligentes que j’ai eu l’occasion de découvrir il y a peu.

Quelles personnes t’accompagnent dans ton projet ?

Mon fils fait la voix off et le piano sur le générique. Halim Talahari, qui est musicien, graphiste, cameraman, monteur, ingénieur du son, conseiller artistique et débrouillard, fait tout le reste !

Tu demandais à ton auditoire de te proposer des idées en matière de textes confinés. Finalement, quels sont ceux qui t’ont été suggérés ? En as-tu retenus et lus sur ta chaîne ?

Pour le moment, les suggestions que j’ai eues ne correspondaient pas aux thèmes sur lesquels je pensais lire mais j’en ai gardé quelques-unes en tête pour l’avenir. Et plus il y en aura, plus la chaîne sera riche et variée !

Jusqu’à présent, je constate que la parité n’a pas été respectée ! Une seule femme parmi six hommes, qui sont pour la moitié des écrivains du 19e siècle… Comptes-tu remédier à cela dans tes prochaines lectures ?

Il est vrai qu’en matière de littérature, comme de peinture d’ailleurs, je suis une amoureuse du 19e siècle, c’est sans doute celui que je connais « le moins mal », mais ce n’est pas un choix, c’est vraiment le hasard des textes, enfin disons plus précisément, la beauté ou l’intérêt des textes.

Concernant la parité il en est de même, je n’y songe même pas, cruelle que je suis, ce n’est pas l’auteur – homme ou femme – que je choisis mais l’œuvre littéraire.

Ce mercredi, le 20 mai, tu pars « sur le chemin de la liberté. » Sans dévoiler à tes abonnés sur quel texte portera ta lecture, peux-tu leur donner un petit indice ?

Et bien ce sera vraisemblablement un extrait d’une pièce de théâtre (du 20e siècle) dont le thème est la liberté…

Garderas-tu la régularité d’une vidéo hebdomadaire ou, sortie du confinement oblige, seras-tu plus souple dans tes diffusions ?

Je garderai la régularité d’une vidéo hebdomadaire, je ne veux pas trop en faire, je ne veux pas lasser, de plus si j’en faisais une chaque jour, il est évident que la qualité en pâtirait. Je pourrais en faire moins mais dans ce cas je lirais plusieurs extraits et les vidéos seraient plus longues… Je crois que je préfère court et régulier. Et surtout j’aime bien l’idée d’un auteur à la fois.

As-tu quelque chose à ajouter pour conclure cette entrevue ?

J’ai énormément de commentaires très élogieux sur ce projet (qui n’est pour l’instant qu’embryonnaire), pas mal de personnes fidèles et enthousiastes déjà, mais pour que je puisse vraiment aller plus loin, les commentaires et pouces en haut ne suffisent pas, il faut vraiment que les personnes qui apprécient s’abonnent.

Et, si j’atteins un certain nombre d’abonnés, j’ai une idée très très chouette à leur proposer, mais je ne pourrai pas le faire sans une « fan base » minimum. Oui : « fan base », réminiscence de la période où cigale que je fus, je chantais…

Merci, Anne, pour ton attention et tes réponses ! Tous mes encouragements de « fan de base » pour ce projet et ceux à venir !


La chaîne YouTube d’Anne Cardona, c’est par ici :
l'Enlivreuse

Pour mettre en appétit ceux et celles qui ne connaissent pas encore « l’Enlivreuse », voici la liste des œuvres proposées, dans l’ordre chronologique de diffusion :

« Voyage autour de ma chambre » de Xavier de Maistre (roman écrit en 1794 suite à son assignation à résidence pour un duel auquel il n’aurait pas dû participer en tant que militaire)

« La chambre double » de Charles Baudelaire (poème en prose publié en 1869 soit deux ans après sa mort)

« Chez soi, une odyssée de l’espace domestique » de la journaliste Mona Chollet (essai écrit en 2015)

« Chez moi » de René de Obaldia (poème paru en 1969 dans le recueil « Les Innocentines »)

« Le terrier » de Franz Kafka (nouvelle inachevée écrite à Berlin en 1923)

« Ballade de la geôle de Reading » d’Oscar Wilde (composée en France en 1898 après avoir effectué sa peine d’emprisonnement en Angleterre pour homosexualité)


« Le comte de Monte-Cristo » d’Alexandre Dumas (roman publié entre 1844 et 1846), l’extrait proposé se déroule au château d’If :

lundi 18 mai 2020

Le lundi au soleil

Claude François et ses Claudettes ont émerveillé mes jeunes années, ont contribué, avec d’autres artistes français des 70’s, à provoquer mes premiers émois musicaux et à forger mon goût pour les belles mélodies et les textes bien troussés.

En 1972, j’étais en CE2, j’allais sur mes neuf ans et je dansais dans ma chambre sur les chansons de Claude François avec Christine, ma voisine du dessus.

Ça, c’est de la balle !

dimanche 17 mai 2020

Perdre une amie


Le 16 avril 2017

L’an dernier, lorsque ma chatte noire et blanche est morte, il m’a été facile de la remplacer. Ne voulant pas laisser s’installer le vide provoqué par sa disparition soudaine, je l’ai rapidement comblé en adoptant une nouvelle compagne féline. Toute blanche, celle-ci.

Lorsque mon petit ami est parti, il y a trois ans, j’ai ressenti cet état de fait comme un soulagement. Tu en sais quelque chose ! Il avait littéralement pourri le dîner que tu avais organisé chez toi pour ton anniversaire, buvant comme un trou, prenant tout le monde de haut, parlant à tort et à travers sans écouter les autres…

Je n’ai pas remplacé mon petit ami, ça tu le sais aussi. J’ai essayé, un peu, comme ça, jetant mon dévolu sur quelques mecs qui m’attiraient mais qui n’ont eu que faire de mon désir d’amour. Comme toi, le fait de vivre seule n’a jamais été un problème. Cela comporte même un certain nombre d’avantages, dont je n’ai pas besoin de te faire la liste. Comme moi, tu pouvais te passer d’un homme.

Perdre une amie, en revanche, quel désastre ! Mon premier réflexe a été de contacter celles qui m’étaient soi-disant les plus proches, aucune d’entre elles ne manifestant cependant un besoin impérieux de me voir. Tu m’imagines, quémandant une plage libre sur leur agenda pour une balade, un ciné, un concert, un déjeuner ou un dîner… Juste un café, alors ? C’est ce que j’ai fait, pourtant ! Sans grand résultat.

Contrainte et forcée à la solitude, j’ai nourri mon chagrin au fil de ces jours printaniers au ciel trop bleu, au soleil aveuglant, à la chaleur inquiétante. Je me suis reconnectée jusqu’à m’y perdre sur ce site de rencontres gratuit dont tu m’avais parlé. J’avais fini par m’inscrire, à la fin de l’été. Tu as été la première et la seule au courant de mes expériences, peu concluantes, voire décevantes, en vérité. Elles ne furent pas plus fructueuses au cours de ces quelques soirs d’errance, je te rassure ! Des centaines de profils dénués d’intérêt, pour la plupart. Quelques mecs, tout de même, avec lesquels échanger sur la musique…

La zique… Avec qui d’autre que toi pouvais-je si bien en parler ? Nous avions vu ensemble l’expo Bowie à la Philharmonie de Paris, plus tard nous avions pleuré sa mort… Tu écoutais « Black Star » en boucle, j’ai numérisé ton CD à l’occasion d’un échange de nos dernières trouvailles. J’ai découvert grâce à toi le groupe Feu! Chatterton, tu aimais beaucoup le côté allumé du chanteur, la qualité de ses textes. Tu n’as pas accroché à « Scarifications » d’Abd Al Malik, mais Florent Marchet t’a enthousiasmée, alors je t’ai refilé tous les albums. « Bambi Galaxy » était de loin ton préféré.

Nous nous étions fréquentées dans les années quatre-vingt-dix, sans devenir de « vraies » amies. Œuvrant toutes les deux dans le domaine musical et associatif, nous partagions, à l’occasion, des concerts, des repas, des fêtes… Tu connaissais mon frère et sa petite amie, laquelle est devenue sa femme. Ta sœur cadette t’accompagnait souvent, je l’aimais bien aussi. Vous étiez de si bonne humeur ! Toujours un mot pour rire, une connerie à dire !

Nous ne nous sommes plus vues pendant de nombreuses années, jusqu’à ce festival en plein air, en mai 2005, à la Ferté-sous-Jouarre. Il y avait avec toi ce grand dadais barbu, à la chevelure rasta, avec lequel tu faisais de la musique. Tu pratiquais le talk over, m’avais-tu dit, une façon de dire tes textes à la limite du chanté, ni slam ni rap, à la façon de Gainsbarre.

Nous avons échangé nos numéros de téléphone, nous allions nous en faire, des putains de concerts ! Jad Wio à la Cigale, le retour triomphant d’Hubert-Félix Thiéfaine à la Cartonnerie de Reims, Daniel Darc au Palace, le même au Trianon, Catherine Ringer à File 7, Rachid Taha, Orange Blossom, Dominique A… Charles de Goal sur la barge flottante de Petit Bain, à fond les ballons ! C’était un dimanche soir, en décembre 2015. La salle était blindée ! Ce fut le dernier où nous sommes allées ensemble.

Il y a eu ceux où tu étais sur scène, micro en main, tranquille, posée, inspirée, au meilleur de ta forme. J’aimais beaucoup tes textes, ta façon de les dire, avec lenteur, pudeur et retenue. Le grand dadais apportait sa touche musicale de manière discrète mais complémentaire, jouant finement sur les styles, les rythmes, les sons, les instruments, les effets sur ta voix… J’ai pu écrire la chronique de deux de vos albums dans le magazine pour lequel je faisais des piges. Quel honneur pour moi !

Tu as vu moins, puis plus du tout, le grand dadais. Vous avez cessé de faire de la musique ensemble, mais tu as continué à écrire des textes, que tu m’envoyais par mail. Je te donnais mon avis. Parfois, tu me les lisais au téléphone. Parfois, tu me les récitais, lorsque nous nous voyions. Nous nous voyions souvent, nous étions maintenant amies ! Tu me parlais de ta maladie, de tes séjours fréquents à l’hôpital, de tes traitements, de ton état de santé en dents de scie.

Je profitais avec toi des moments où tu allais bien, où l’on pouvait bouger, sortir, s’amuser, marcher, nager, même ! Tu adorais nager. Sinon, eh bien je te rendais visite à l’hôpital. Ces derniers temps, nous allions moins souvent en concert, mais nous fréquentions le centre d’art contemporain de Château-Thierry, nous faisions des expos : l’Orient Express à l’Institut du Monde Arabe, la Libération de Paris au musée de l’Hôtel de Ville, Jean-Paul Gaultier au Grand Palais, la rétrospective Modigliani à Lille, les installations de Michel Houellebecq au Palais de Tokyo, Paul Klee à Beaubourg… Tu étais passionnée par ce peintre, souffrant, comme toi, de la sclérodermie.

Il y a eu ce bel après-midi d’octobre où nous nous sommes retrouvées à Paris, pour voir mon amie de longue date qui était devenue elle aussi ton amie. Nous avons flâné et devisé le long des quais de la rive gauche, depuis l’Assemblée Nationale jusqu’à Châtelet. Un sacré bout de chemin ! Sur la proposition de notre amie, une inconditionnelle, nous avons fait une pause gourmande et méritée au Paradis du Fruit.

Le soir, nous dînions chez elle, en compagnie de ses deux fils et de son mari. Il avait préparé un savoureux repas vietnamien, avec cuisson sur ardoise des viandes parfumées, des champignons frais, des oignons, des légumes… J’avais apporté du champagne et toi une bonne bouteille de vin. D’autres furent ouvertes pour entretenir notre état d’ivresse ! Plus tard dans la soirée, son mari officiant comme DJ, notre amie s’est mise à danser au milieu du salon. Leurs deux fils s’étaient éclipsés depuis longtemps pour reprendre leurs parties de jeux en ligne. Toutes les deux, nous parlions zique, matant quelques clips sur la tablette qui traînait là.

Pour Noël, tu es partie à Antibes, en train, avec tes deux sœurs. Vous avez bien déliré là-bas, m’as-tu dit à ton retour ! Vous avez fait des balades le long de la mer, vous avez visité le musée Picasso… Vous étiez bien plus proches, ces derniers temps. Vous preniez le temps de vous voir, de faire des choses ensemble.

Le 23 janvier, c’était ton anniversaire : cinquante-trois ans, tu atteignais le même âge que moi ! Te le souhaitant par SMS et demandant de tes nouvelles (je n’en avais pas eu depuis le nouvel an), tu m’as appris que tu étais hospitalisée depuis une dizaine de jours. Tu souffrais terriblement du dos et des intestins, on t’avait mise sous morphine, on te faisait des examens.

Le 28, je suis venue avec des fleurs et ma bonne humeur, t’offrant le recueil de mon atelier d’écriture où figurent deux de mes textes. Tu m’as remerciée chaleureusement, tu m’as promis de les lire vite, tu aimais bien la manière dont j’écrivais. Tu m’as parlé de Florent Marchet, de son album « Frère Animal » sur fond de campagne présidentielle, des concerts que tu regardais sur ton smartphone, des émissions à la télé, principalement Arte. Tu as craqué, tu as pleuré, je t’ai réconfortée, je t’ai fait rire… Ma visite t’a fait chaud au cœur.

En février, j’ai pris des vacances en Savoie puis en Suisse, jusqu’à Berne et le centre Paul Klee. J’ai bien pensé à toi, là-bas ! Quand je suis revenue te voir à l’hôpital, tu étais très affaiblie. Tes deux frères étaient là, tes deux sœurs aussi, ta nièce est passée en fin d’après-midi.

Avec ta sœur cadette, je t’ai accompagnée en bas, pour que tu puisses fumer ta clope, prendre un peu l’air. Tu étouffais dans ta chambre, tu aurais préféré être chez toi. Nous sommes restées toutes les trois un long moment à discuter à la cafétéria. Tu t’exprimais difficilement, calée dans ce fauteuil roulant, sans forces, ni dans les bras ni dans les jambes.

Le soir, une fois chez moi, j’ai téléphoné au grand dadais. Tu ne le voyais plus, mais vous n’étiez pas fâchés pour autant, m’avais-tu dit. J’avais toujours son numéro sur mon portable. Je l’ai mis au courant de la situation, de ton état de santé, de ce cancer qui s’installait dans tes os et tes organes. Le lendemain, il est passé te voir. L’un de tes SMS disait que sa visite t’avait fait du bien.

La semaine suivante, c’est en salle de réanimation que je t’ai retrouvée, branchée de partout, un masque à oxygène sur le nez et la bouche… En te quittant je t’ai dit à bientôt, remets-toi vite ! On s’est souri, on s’est pris la main… Ensuite, c’est par tes sœurs que j’ai eu des nouvelles. Tu n’étais plus en capacité de me parler au téléphone ni de m’écrire un SMS.

J’allais monter dans ma voiture pour aller travailler quand j’ai reçu le message, le 16 mars au matin. Sonnée, abattue, hébétée, j’ai pleuré la journée entière. Sensation de flou, d’être là sans y être, mon corps lourd de tristesse tournant au ralenti, la douleur lancinante de t’avoir perdue à jamais. Chez moi j’ai ressorti tes disques, lu un à un tes textes. Je les archivais tous sur mon ordinateur, au fur et à mesure que tu me les envoyais. J’ai prévenu notre amie de Paris, mon frère et ma belle-sœur, le grand dadais.

L’hommage qui te fut rendu au cimetière, le lendemain de ton enterrement en famille selon les traditions kabyles, était à ton image. Une sono portative diffusait ta musique, ta voix résonnait, fière et digne, au milieu des tombes. On a été plusieurs à lire tes textes, avec un micro. J’avais choisi « Traditionnel inconditionnel » et « Yemma », ce bel hommage à ta mère. On a mis tes CD de Daniel Darc, Serge Gainsbourg, David Bowie… Il y avait du monde pour toi, tu sais. Le grand dadais, très éprouvé, ne s’est pas senti en état de venir. Il a pris ça de plein fouet, lui, sans y être préparé… Il a dû regretter amèrement d’avoir négligé votre amitié.

La suite s’est passée chez toi, en plus petit comité, sous forme de buffet. Tes sœurs et ton beau-frère avaient tout organisé. Comme tu aimais le champagne, on a bu du champagne, tout en parlant de toi. Tu imagines le coup de blues que ça m’a foutu de retourner dans ton appartement, de voir me sauter à la gueule tous ces souvenirs des moments qu’on y a passés, d’être assaillie par les pensées de ce que nous ne ferons plus jamais ensemble… Putain, fait chier !

Je ne te remplacerai pas comme on remplace un animal de compagnie ou un petit ami, ça non, c’est tout bonnement impossible. Je vais devoir vivre avec le grand vide que tu as laissé, tout comme avec l’espace que tu vas continuer à occuper dans mon esprit. Mon deuil n’est pas fini, il commence à peine, je te pleure, mon amie, ma meilleure amie ! 

Ta vie s’en est allée, tu restes dans mon cœur, je reviendrai te voir, je viendrai te parler, j’apporterai des fleurs, tout comme aujourd’hui.

En la mémoire de mon amie Yasmina Sahnoune, née le 23 janvier 1964, décédée le 16 mars 2017.