Ce matin, aux
alentours de neuf heures quinze (j’étais en salle informatique dans mon école de
rattachement pour effectuer des impressions), appel de la secrétaire de
l’inspection qui, suite au décès brutal d’une enseignante au cours du week-end,
me demande de rejoindre au plus vite l’école élémentaire du village d’à côté, celle
où j’avais passé la première semaine de rentrée post-confinement, la même où
suite à mon remplacement de trois semaines en CE1B, j’étais tombée malade toute
la durée des vacances d’hiver.
Je pose alors
la question qui me vient aux lèvres : « Qui est-ce ? » Et
là je tombe des nues, la collègue de mon âge avec laquelle j’avais partagé mes
repas durant cette semaine particulière a été victime d’une rupture
d’anévrisme, une cellule psychologique est mise en place dans l’école, je dois
aller là-bas en renfort, sur ordre de l’inspecteur.
Je lance les
impressions qu’il me reste à faire, je termine mon café, je passe aux
toilettes, j’informe le directeur de mon départ et pour quelle raison ; il
me dit qu’il faut penser à profiter de la vie puisqu’elle peut s’arrêter d’un
instant à l’autre, il me conseille de faire attention sur la route.
Lorsque
j’arrive, des enfants sont en récréation dans la cour, c’est le collègue de CP
qui vient m’ouvrir, ils travaillaient ensemble, Odile et lui. À l’intérieur de
l’école il y a des personnes masquées que je connais et d’autres, missionnées
par l’inspection académique, que je connais pas, on se présente et on échange
dans les couloirs, j’évite de regarder du côté de la classe d’Odile, j’entends
sa voix, je redescends pour voir le directeur, lequel me confie qu’elle n’a pas
souffert, que c’est arrivé jeudi dans sa maison en compagnie de ses enfants,
qu’elle est morte d’un coup, que les secours n’ont rien pu faire.
Merde,
quoi ! Odile, 57 ans, née la même année que moi, qui il y a deux semaines me
parlait des vacances qu’elle comptait prendre cet été dans les Pyrénées en camp
GCU, Odile qui venait d’être grand-mère, qui depuis le confinement avait accueilli
dans sa maison son fils, sa fille, sa belle-fille (étudiants) et sa
petite-fille, Odile qui a appris à lire à des centaines d’enfants, qui
travaillait dans cette école depuis plus de vingt ans !
Dans le
brouillard toute la journée, montrant bonne figure aux collègues et aux enfants
malgré le chagrin sous mon masque, osant un regard vers la classe d’Odile et
constatant que ses élèves s’y trouvaient avec un remplaçant ; ce n’est pas
tous les jours que l’on remplace quelqu’un pour cause de décès, je n’aurais pas
aimé avoir cette charge à supporter.
J’ai aidé
Anaëlle à travailler, comme je l’avais fait la semaine précédente, j’ai corrigé
et classé ses feuilles d’exercices, je lui ai lu la fiche documentaire sur le
blaireau, elle a répondu aux questions et je les ai écrites.
Demain non,
je n’y retourne pas dans cette école, c’est trop pénible, d’ailleurs une autre
remplaçante y est déjà missionnée en tant que renfort pour la semaine. Maintenant,
ce sont les grandes filles de CM2 qui préparent le parcours gymnique pour la
récréation de l’après-midi ; l’idée a germé, tant mieux, j’ai apporté une petite
pierre à l’édifice…
Je ne suis
pas indispensable, personne ne l’est ; un jour on est là, le lendemain on
n’y est plus, je pense à toi Odile, j’aurais tellement aimé te voir encore et
rire avec toi !
« Blue Monday » est un titre
du groupe britannique New Order (qui succéda à Joy Division après le suicide de
son chanteur Ian Curtis) et fait référence, Outre-Manche, au « jour le
plus déprimant de l’année ».