lundi 25 mai 2020

Blue Monday


Ce matin, aux alentours de neuf heures quinze (j’étais en salle informatique dans mon école de rattachement pour effectuer des impressions), appel de la secrétaire de l’inspection qui, suite au décès brutal d’une enseignante au cours du week-end, me demande de rejoindre au plus vite l’école élémentaire du village d’à côté, celle où j’avais passé la première semaine de rentrée post-confinement, la même où suite à mon remplacement de trois semaines en CE1B, j’étais tombée malade toute la durée des vacances d’hiver.

Je pose alors la question qui me vient aux lèvres : « Qui est-ce ? » Et là je tombe des nues, la collègue de mon âge avec laquelle j’avais partagé mes repas durant cette semaine particulière a été victime d’une rupture d’anévrisme, une cellule psychologique est mise en place dans l’école, je dois aller là-bas en renfort, sur ordre de l’inspecteur.

Je lance les impressions qu’il me reste à faire, je termine mon café, je passe aux toilettes, j’informe le directeur de mon départ et pour quelle raison ; il me dit qu’il faut penser à profiter de la vie puisqu’elle peut s’arrêter d’un instant à l’autre, il me conseille de faire attention sur la route.

Lorsque j’arrive, des enfants sont en récréation dans la cour, c’est le collègue de CP qui vient m’ouvrir, ils travaillaient ensemble, Odile et lui. À l’intérieur de l’école il y a des personnes masquées que je connais et d’autres, missionnées par l’inspection académique, que je connais pas, on se présente et on échange dans les couloirs, j’évite de regarder du côté de la classe d’Odile, j’entends sa voix, je redescends pour voir le directeur, lequel me confie qu’elle n’a pas souffert, que c’est arrivé jeudi dans sa maison en compagnie de ses enfants, qu’elle est morte d’un coup, que les secours n’ont rien pu faire.

Merde, quoi ! Odile, 57 ans, née la même année que moi, qui il y a deux semaines me parlait des vacances qu’elle comptait prendre cet été dans les Pyrénées en camp GCU, Odile qui venait d’être grand-mère, qui depuis le confinement avait accueilli dans sa maison son fils, sa fille, sa belle-fille (étudiants) et sa petite-fille, Odile qui a appris à lire à des centaines d’enfants, qui travaillait dans cette école depuis plus de vingt ans !

Dans le brouillard toute la journée, montrant bonne figure aux collègues et aux enfants malgré le chagrin sous mon masque, osant un regard vers la classe d’Odile et constatant que ses élèves s’y trouvaient avec un remplaçant ; ce n’est pas tous les jours que l’on remplace quelqu’un pour cause de décès, je n’aurais pas aimé avoir cette charge à supporter.

J’ai aidé Anaëlle à travailler, comme je l’avais fait la semaine précédente, j’ai corrigé et classé ses feuilles d’exercices, je lui ai lu la fiche documentaire sur le blaireau, elle a répondu aux questions et je les ai écrites.

Demain non, je n’y retourne pas dans cette école, c’est trop pénible, d’ailleurs une autre remplaçante y est déjà missionnée en tant que renfort pour la semaine. Maintenant, ce sont les grandes filles de CM2 qui préparent le parcours gymnique pour la récréation de l’après-midi ; l’idée a germé, tant mieux, j’ai apporté une petite pierre à l’édifice…

Je ne suis pas indispensable, personne ne l’est ; un jour on est là, le lendemain on n’y est plus, je pense à toi Odile, j’aurais tellement aimé te voir encore et rire avec toi !

« Blue Monday » est un titre du groupe britannique New Order (qui succéda à Joy Division après le suicide de son chanteur Ian Curtis) et fait référence, Outre-Manche, au « jour le plus déprimant de l’année ».