dimanche 5 juillet 2020

Le premier jour

Tout comme à Florence et à Venise, il avait ressenti un immense bien-être en descendant du train. Il arrivait de Milan par une ligne à grande vitesse, après une nuit passée en wagon-couchette depuis la gare de Lyon. Il avait laissé ses bagages à la consigne, ne gardant que le minimum sur lui dans un petit sac à dos, avec son appareil photo.

Foulant pour la première fois de sa vie le sol de cette ville tant convoitée, ses pas l’avaient mené d’emblée vers les ruines antiques les plus proches de la gare, les thermes de Dioclétien. Il y avait passé tout le reste de la matinée, enchaînant sur le musée national, immense, puis l’église Sainte-Marie-des-Anges.

En ce début d’après-midi, il profitait d’une pause bien méritée avec sandwichs, verre de prosecco et tiramisu en dessert, à la terrasse d’un café surplombant la Piazza della Repubblica. De là où il était, sous les arcades de l’imposant bâtiment en hémicycle, la vue était imprenable, un grand panoramique ! Quelle joie, pour lui, d’être là !

C’est alors qu’il l’aperçut, majestueuse, imposante, resplendissante. Sa couleur bronze attirait son regard, elle avait des reflets bleutés. Tout autour d’elle, un halo clair, lumineux, irisé. Elle murmurait, elle chantonnait, elle l’appelait irrésistiblement. Il lui faudrait bientôt aller à sa rencontre.

Après avoir fini son repas et bu un café americano, il traversa la place sans hésiter une seconde, pour rejoindre le terre-plein central. C’est là qu’elle se trouvait, rayonnante de beauté.

Elles formaient un quatuor parfait. Passant lentement de l’une à l’autre, il fut émerveillé par la grâce de leur corps dénudé, par leur féminité exacerbée, par l’insolence de leur jeunesse. Il pouvait les regarder comme bon lui semblait, s’approchant, se reculant, se décidant pour l’angle de vue d’une photo.

Il fit un deuxième, puis un troisième tour du bassin circulaire où elles posaient, de façon très expressive, en compagnie de créatures monstrueuses qui leur donnaient du fil à retordre. Au centre, plus haut, dans un bassin plus petit, un homme nu et musclé agrippait un dauphin, lequel crachait un jet d’eau généreux.

L’une saisissait fermement par la crinière un redoutable cheval marin, l’autre chevauchait un oiseau géant. La troisième, visiblement détendue, s’appuyait sur le dos d’une espèce d’iguane. Quant à la dernière, elle était carrément sexy, s’amusant follement avec un long et vigoureux serpent.

Alors, laquelle choisir ? La tête lui tournait, il était indécis. Elles étaient la perfection même, toutes les quatre ensemble. Joyeuses, joueuses, facétieuses, débordantes de vitalité. Toutes aussi envoûtantes, attirantes, désirables.

Plus tard, le soir, dans sa chambre d’hôte, en ouvrant son guide touristique, il apprendrait que c’étaient des naïades qui l’avaient tant charmé, et plus précisément des nymphes, protectrices des sources.

Il lut, avec un regard amusé, qu’elles firent scandale lors de l’inauguration, en 1901. On leur reprochait d’être nues, impudiques, lascives, provocantes. Mais elles étaient restées, une eau de source coulait là, l’eau d’une source sacrée, pas question de les déloger !

Ainsi, chacune de ces divinités avait sa symbolique : la nymphe de l’océan combattait le cheval marin, la nymphe du lac était représentée avec un cygne, la nymphe des rivières souterraines avec un dragon, la nymphe des fleuves avec un serpent… La maîtrise des forces de la nature exultait par l’homme empoignant son dauphin.

Il l’avait rencontrée sans vraiment la chercher, un peu par hasard. Le premier jour d’un voyage, il s’imprégnait avant tout des humeurs de la ville, allant ici ou là, au fil de son inspiration.

À la fontaine des Naïades place de la République, s’ajouteraient celle de la Pomme de pin au Vatican, la Barque sur la place d’Espagne, les Quatre Fleuves et son obélisque place Navone, l’incontournable fontaine de Trevi, l’irrésistible fontaine du Triton…

Il venait d’arriver à Rome, où mille et une splendeurs encore, l’attendaient.

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