Le 21 juin 2035
Chers
Camille, Sacha et les enfants,
Comment
ça va pour vous ? Avez-vous enfin de quoi vous loger, vous nourrir
convenablement ? Vos démarches avaient l’air de prendre une bonne
tournure, ont-elles abouti comme vous le souhaitiez ? Les enfants
peuvent-ils aller à l’école, commencer à apprendre la langue ? C’est
important ! Et vous ? Vos diplômes vous donneront-ils la possibilité
de travailler ?
Je
profite de notre halte d’une semaine à Angers pour vous écrire. Nos amis Mylène
et Cédric nous ont accueillis à bras ouverts. Comme ils ont la chance d’avoir
encore leur maison, ils hébergent des personnes de passage, en transit, comme
nous… La plupart vont à pied, un sac sur le dos et leurs valises à la main,
d’autres poussent un caddie, d’autres traînent une carriole… Quelle
misère ! Nous nous sentons bien privilégiés, Jacques et moi, avec notre
cheval et notre roulotte ! Nous avons un toit, nous savons où dormir…
Mylène
est une vieille amie, ça remonte à loin, aux meilleures heures de notre
jeunesse ! Avec Cédric, ils ne se sont jamais quittés depuis cette époque.
Ils couleraient des jours heureux s’il n’y avait pas tout ce bazar ! Nous,
on a été contraints de fuir. L’air devenait irrespirable, on se mettait en
danger nuit et jour, notre petit coin de campagne ne ressemblait plus à rien,
ce n’était plus possible !
Alors
on a fait comme tous les autres, on a plié bagage avec les moyens du bord.
Heureusement, on avait gardé la roulotte, et ce sacré Léon… La vieille carne
allait reprendre du service ! Et nous autres vieilles carnes, aussi !
Autant prendre ce qui nous arrive dans la bonne humeur ! À l’âge qu’on a
tous les deux, on ne risque plus grand-chose. La mort se rapproche, de toute
façon.
Nous
comptons rejoindre l’Espagne, le Portugal, l’Andalousie, peut-être pousser
jusqu’au Maroc. Jacques a repris des couleurs depuis que nous avons quitté
l’enfer du Grand Paris. Nous avons emmené nos chats et aussi un chien resté
attaché à sa chaîne, que nous avons trouvé dans une cour de ferme déserte.
Nous
voyons des choses abominables sur les routes, même si nous nous déplaçons
surtout la nuit. Nous rencontrons plein de vieux comme nous, mais bien plus
démunis, fragiles, maigres, malades, épuisés, désespérés… Nous ne nous arrêtons
pas. Nous ne pouvons pas les aider ! Excusez-moi d’être dure, mais la
lutte pour la vie, c’est chacun pour soi.
Nous
profitons avec Mylène des moments de préparation des repas pour bavarder,
échanger les dernières nouvelles : ceux qui s’en sortent, ceux qui sont
morts… Jacques aide Cédric à consolider la maison, à réparer le toit, à faire
quelques travaux à l’intérieur. Ça nous fait du bien de vivre dans des murs,
d’avoir un grand lit confortable où dormir, où reprendre des forces. La route
sera longue, encore. Nous avons la chance de nous aimer, animés par le désir de
continuer à vivre ensemble, coûte que coûte, quelles que soient les conditions.
Jacques
se joint à moi pour vous embrasser tendrement toutes les deux et les trois
petits. Nous vous souhaitons tout le courage dont vous avez besoin pour
démarrer votre nouvelle vie dans ce pays qui a bien voulu vous accueillir.
Soyez fortes !
Dès
que les communications sont rétablies, on se parle sur le Phone. En attendant,
le bon vieil Internet continue à fonctionner, même s’il est réduit à une
vulgaire boîte de messagerie… Et chez Mylène et Cédric, le réseau passe encore.
Quel progrès !
Donnez-nous
vite de vos nouvelles, que nous sachions si vous avez bien reçu ce courriel.
On pense
à vous, on vous aime !
Zohra et
Jacques