samedi 13 juin 2020

T'es-tu lavé les mains ?

                 

Les affaires ont repris sérieusement pour moi mardi 2 juin après-midi, une mission de remplacement m’étant confiée dans l’école maternelle la plus éloignée de mon domicile.

Échelonnement des arrivées et des départs des élèves oblige, l’on m’a donné le créneau de 9 heures à midi et de 14 heures à 16 heures 30, ce qui m’a permis, le matin, de partir de chez moi à une heure raisonnable ; c’est-à-dire que je n’ai pas eu à avancer mon réveil comme si j’avais dû prendre mon poste à 8 heures 30, soit être sur place aux environs de 8 heures.

Car, comme tout le monde le sait, dans les écoles et surtout en maternelle, les enseignant-e-s arrivent en avance ; le travail commence avant que les élèves ne soient en classe, il y a toujours des photocopies à faire, du matériel à préparer…

Mardi après-midi, donc, j’agence la salle de classe à ma façon en respectant la distanciation physique préconisée, en attribuant à chaque élève un espace personnel et un « matériel de base » : crayon à papier, assortiment de crayon de couleur et de feutres pour colorier et dessiner, paire de ciseaux, flacon de colle, ardoise et feutre effaçable, barquette contenant des pots de pâte à modeler et les ustensiles qui vont avec (rouleau, couteau, moule emporte-pièce).

À partir du jeudi 4 juin, j’aurai sous ma responsabilité un groupe d’enfants reprenant le chemin de l’école après presque trois mois d’interruption : il faudra « y aller mollo » avec eux, tout en intégrant ces précautions drastiques mises en place contre la diffusion du virus.

Attention danger ! Port du casque masque obligatoire pour les adultes ! Toute la journée, sauf pour manger, même pendant les récrés. L’application du protocole sanitaire est très stricte, jusqu’à en avoir la nausée, au vu du zèle des enseignant-e-s à le faire respecter par des enfants entre 3 ans et 6 ans et à les diriger comme de petits soldats.

Nour, Carla et Sefora (en grande section), Raphaël (moyenne section) et Narjes (petite section) sont présent-e-s tous les jours et s’adaptent facilement aux nouvelles contraintes scolaires. Se laver les mains (avant d’entrer en classe, avant et après le passage aux toilettes, avant et après la récréation, avant la cantine ou le retour à la maison, soit une dizaine de fois dans la journée) ne leur pose aucun problème, les gestes sont déjà intégrés.

Alors à quoi bon leur seriner la comptine du lavage des mains avec le serpent, le hérisson, l’ours, le ver de terre, la poule et le koala ? Ils savent, ils ont compris, ils le font avec le sourire ; d’autant plus que pour se rincer, l’eau est tiède, c’est agréable !

    Concernant les porte-manteaux, il doit y avoir une distance entre les vêtements. Chacun de mes petits élèves aura, au-dessus du sien, une étiquette avec son prénom et son dessin (dessine-toi avec ta famille) ornementé de gommettes en forme d’étoile dorées ou argentées.

         Avec cinq enfants en moyenne dans ma classe (mes autres collègues en ont une dizaine), le langage est très présent, chacun-e peut s’exprimer comme bon l’entend, en français, en anglais, en arabe, en roumain, en portugais. Je suis là pour gérer le temps de parole, je pose des questions, je réponds aux leurs, les conversations sont intéressantes.     

Gabriel, Fabio et Axel (en petite section) ne seront présents que par intermittence, ce sera un peu plus compliqué de les empêcher de toucher à tout ce qui se présente dans leur champ de vision. Mais il y a suffisamment de jeux, de puzzles, de matériel éducatif dans la classe pour qu’ils choisissent ceux qui leur plaisent et qu’ils puissent les manipuler à leur table attitrée ou par terre (sans qu’ils se les échangent, évidemment) et ainsi satisfaire leur curiosité et leur soif de découverte.

À partir du lundi 9 et jusqu’au vendredi 12 juin (dernier jour de mon remplacement), Amel sera ma « dame de service ». Nous préparerons ensemble, avec les enfants, de grandes cartes décorées et des cadeaux pour « la fête des cœurs » instituée dans l’école ; nous y prendrons beaucoup de plaisir.

         Comme les arrivées et les sorties, les récréations sont échelonnées. Je partage la cour avec une collègue particulièrement gratinée, qui hurle à tout bout de champ sur les gamins qui s’approchent trop près les uns des autres.

Moi je dessine des marelles, des parcours ludiques à la craie sur le goudron, j’engage les enfants à les suivre, puis ils inventent le leur ; ils tracent aussi des maisons, des soleils, des fleurs, des personnages, des nuages, des tourbillons, des cœurs, des ronds, des carrés, des vagues, des zigzags, des lettres, des mots…

         Pendant ce temps, ma collègue s’évertue à nettoyer les guidons des vélos et des trottinettes (que les enfants ne peuvent s’empêcher de se prêter) avec de la solution hydroalcoolique en spray, parce que « le virucide sent mauvais et qu’il laisse des traces ». Je n’ose même pas lui dire que ce qui est utilisé pour les mains n’a pas d’effet sur les surfaces, enfin c’est ce que j’ai compris, à quoi bon de toute façon, chacun reste sur sa position, dans sa compréhension et son interprétation du monde d’après et de ce qu’il convient d’y faire ou pas.

Ah oui, je n’avais pas fait gaffe, je n’y pensais même pas, interdiction formelle de toucher aux poteaux métalliques se trouvant dans la cour ! Moi j’ai eu la mauvaise idée de les intégrer dans mes parcours, les enfants devant tourner autour en suivant la boucle tracée au sol… Ma collègue ne s’est pas gênée pour punir certains de ses élèves le long du mur (qu’ils touchaient aussi) parce qu’ils l’avaient fait, il y en a qui pleuraient.

Ça m’a rendue dingue, cette surveillance à outrance, ces rappels incessants à la distanciation, ces injonctions à contrôler son corps, à s’éloigner des autres, à ne pas bouger, à rester tranquille. Merde, on n’est pas dans un Ehpad ! Et quand bien même ! Quelle violence, pour un enfant,  cette privation de liberté jusque dans ses mouvements! Quelle exagération, même en zone orange !

We don’t need no education

We don’t need no thought control

No dark sarcasm in the classroom

Teachers live the kids alone

Hey teachers live the kids alone

All in all it’s just another brick in the wall

All in all you’re just another brick in the wall

(Pink Floyd, 1979, merci à JFred de m’avoir rappelé ces paroles exprimant parfaitement mon ressenti)

     Dès lundi 15 juin, une nouvelle mission m’attend dans une école maternelle bien plus proche de chez moi. J’y avais encadré à deux reprises des enfants de soignants, que des filles, dans une ambiance détendue et bienveillante. J’espère que ce sera toujours le cas.